Menu

Un théâtre baroque profondément singulier.

 

La metteure en scène et comédienne Elizabeth Czerczuk clôt la trilogie Les Inassouvis en s’inspirant librement de Matka (La Mère) de Stanislaw Ignacy Witkiewicz. Un théâtre baroque profondément singulier.

Après Requiem pour les artistes* et son fascinant cortège de morts-vivants, après Dementia Praecox 2.0*, libre adaptation étonnante de la pièce Le Fou et la nonne (1923) de Stanislaw Ignacy Witkiewicz, Elizabeth Czerczuk propose Matka, dernier volet de son triptyque Les Inassouvis, inspiré par la pièce éponyme de son auteur de prédilection. Toujours dans la même veine d’un théâtre total, cathartique, engageant profondément l’âme, et le corps, au point de le parer d’atours spectaculaires. Comme dans certains théâtres traditionnels codifiés, mais avec une liberté singulière dont l’audace fait écho au sens de la dérision et à la tonalité absurde de l’auteur. Méconnu en France, considéré en Pologne comme une figure marquante de l’entre-deux-guerres, Stanislaw Ignacy Witkiewicz, écrivain, peintre et photographe,  allie dans ses œuvres le grotesque et le tragique. S’il a élaboré la théorie de la « forme pure » en art, Elizabeth Czerczuk choisit quant à elle de créer un théâtre total, baroque, plastique et chorégraphié, où la vision catastrophiste de l’auteur se teinte d’espoir grâce à l’art, qui permet à l’être humain de combattre sa finitude et de transcender sa condition. Comme si l’artiste ici devenait une sorte de Sisyphe heureux de porter son lourd fardeau, de tracer un sillon créatif irrigué par toutes sortes d’héritages, de désirs et de manques. Matka convoque le couple formé par la mère et le fils (Elizabeth Czerczuk et Zbigniew Yann Rola), qui se déchirent, mais aussi six danseuses, trois musiciens, et un conférencier (Yann Lemo) qui fait entendre les mots de l’auteur.

Un geste d’artiste libre 

Plus que le nœud des relations filiales, c’est un tableau exubérant et exacerbé de la décadence qui se déploie, celui d’une « humanité qui dégringole » et s’oublie à travers l’alcool ou les drogues, celui d’une interrogation sur le mystère de l’existence malgré l’écrasement de l’individu. L’énergie puissante de la danse, le pouvoir évocateur de la musique et le jeu expressionniste composent un alliage souvent saisissant, où la parole est reléguée à la marge, d’autant plus qu’elle s’énonce par éclats fragmentés (plus ou moins compréhensibles) sans réels dialogues. Ce qui convainc ici est moins la relation au texte et à l’auteur admiré que le geste théâtral même, plastique et chorégraphié, travaillé avec un engagement unique dans la filiation des maîtres polonais – Tadeusz Kantor, Jerzy Grotowski, Henryk Tomaszewski -, et plus généralement du théâtre slave, lorsque faire du théâtre est la vie même à chaque instant. Dans une tonalité surréaliste parfois beckettienne, le théâtre par sa fabrication follement ambitieuse fait écho à l’imaginaire de l’auteur, qui s’élève contre la contamination du mensonge et la « moutonisation définitive ». Les repères spatio-temporels même en sont chamboulés, et les spectateurs sont littéralement pris par la main pour inverser les places, et quitter leur insolite colline verdoyante pour la scène. Comme un appel à la liberté…

 

Agnès Santi, La Terrasse

L'univers génial et décadent d’Elizabeth Czerczuk ou le bonheur d’être surpris

Envie de vous laisser surprendre ? Marre des dadas du moment, des thèmes qui flattent la boboïtude bien-pensante ? Foncez rue Marsoulan. Et vous qui entrez ici, perdez toute connexion avec le monde réel.

Le théâtre d’Elisabeth Czerczuk a rouvert ses portes le 5 octobre dernier, agrandi et spectaculairement rénové. Actuellement s’y joue Matka, le dernier de la trilogie les Inassouvis commencée avec "Requiem pour les Artistes" puis "Dementia Praecox 2.0". Plus qu’un spectacle, c’est un univers, surréaliste et décalé, qui invite le spectateur à s’y immerger.

Ce lieu hors du temps, discrètement éclairé de lustres de cristal, à l’esthétique baroque et épurée tout à la fois, a sa magie propre. La jeune femme qui accueille le public, visage de poupée et robe bouffante, pourrait sortir d’un manga. Avant la représentation, le spectateur est accueilli au bar par une haie de mannequins de cire, hommes torse nu portant haut-de-forme, femmes en sous-vêtements de dentelle noire, bas et porte-jarretelle. On se croirait dans un cabaret berlinois de l’Allemagne de la Weimar ou dans un film de Stanley Kubrick.

Matka est librement adapté de la pièce éponyme de Stanislaw Ignacy Witkiewicz, dramaturge polonais du siècle dernier, avant-gardiste et décrié, auteur de la théorie esthétique de la « forme pure ». Si l’art dans sa « forme pure » doit rester étranger à toute connexion avec la vie et décliner uniquement de lois inhérentes aux lignes et aux couleurs, ce spectacle chorégraphique relève le défi avec succès. Dans cette tragi-comédie burlesque à l’extravagante scénographie, une mère mi femme-enfant fatale et mi sorcière et son fils se déchirent. Incapables de communiquer, ils monologuent tour à tour dans une langue poétique et décousue. La mère, jouée par Elisabeth Czerczuk, se lamente et combat ses démons à coups de grandes déclamations et rasades de vodka ; le fils Léon, truculent, mégalomane et peut-être génial (Zbigniew Rola), ponctue son absurde discours d’esclaffades sardoniques et se gargarise d’importance.

Un narrateur tout aussi décadent (Yann Lemo), qui est sans doute la voix de l’auteur, met en exergue par ses propos le caractère absurde de l’histoire qui se déroule sous ses yeux. Cinq danseuses aux visages inanimés telles des poupées de cire animent le spectacle en se mouvant comme des automates de boîte à musique. Les visages, les extraordinaires costumes et coiffures empruntés à l’univers gothique sont magnifiés par l’éclairage très travaillé. Sur scène, un orchestre -- violon, accordéon, xylophone et claviers, complété par des enregistrements de voix et de musique rock -- fournit l’ambiance sonore superbe de ce spectacle immersif où les spectateurs seront également sollicités.

Ce travail d’une esthétique éblouissante relève d’une démarche artistique globale combinant voix et chant, gestuelle et musique. Plus qu’un spectacle, c’est une expérience immersive hors norme qui émerveillera les inassouvis de la scène parisienne.

 

Imane Akalay, La Grande Parade

MATKA OU LA QUESTION DE L’EXISTENCE

À travers les déchirements et les excès d’un couple mère-fils, Elizabeth Czreczurk livre une interprétation acide et métaphysique de l’univers de Witkiewicz et de ses interrogations sur le sens du théâtre.

l ne faut pas attendre le début de la pièce pour s’engouffrer dans l’univers de Witkiewicz: le théâtre Elizabeth Czerczurk semble être en lui-même une incarnation de ce monde, ce qui après tout n’est pas étonnant puisqu’il est l’artiste favori de sa fondatrice. Dès notre arrivée, nous sommes menés à travers un premier couloir intrigant, où dominent le noir et le rouge, peuplé de mannequins vêtus dans un style « gothique » jusqu’à un bar à l’esprit décadent. Des amuse-bouches y sont disposés, chacun sirote un verre de vin, comme une invite à goûter à l’alcool qui attisera la folie des personnages de Matka. Les frontières se dissolvent, on ne sait déjà plus bien si cet intermède au bar fait partie de la pièce et nous érige en protagoniste, ou s’il ne s’agit que d’une attente classique avant le début d’un spectacle. Enfin, les acteurs nous invitent à les suivre dans la salle. La musique slave sur basse électronique résonne et nous propulse immédiatement dans l’action.

À travers le tiraillement d’un couple mère-fils, des interrogations existentielles

Matka, ou La mère, met en scène les tourments d’une mère alcoolique et droguée face au despotisme d’un fils, Léon, peut-être trop aimé, dont le génie artistique supposé n’aboutit jamais à rien. Dès le début, nous sommes propulsés dans l’univers plein d’excès de Léon, dont l’alcool et la luxure constituent l’essentiel. Matka, veuve d’un mari adoré, aux côtés de Léon, laisse transparaître une culpabilité éclatante non dénuée de complaisance : après tout, il est son fils, son œuvre. À mesure que la pièce avance, la relation mère-fils évolue, dans une ambiguïté tout œdipienne. Alors que Léon se marie, il pousse la débauche à l’extrême et, accompagné de sa femme lors d’une soirée de démesure, ils finissent par avoir raison de Matka. Dès lors, celle-ci n’apparaît plus que vêtue d’un costume de mariée, l’ambivalence du personnage s’aiguise. Matka est-elle la mère ou l’amante, la victime ou le bourreau ? Tout au long de la pièce, ces personnages évoluent comme autant de pantins, incapables de dialoguer alors qu’ils le souhaitent, incapables de mener à bien leurs projets de création, incapables de s’accomplir. 

Cette « pièce répugnante en deux actes et un épilogue », comme Witkiewicz la nommait, nous entraîne dans un labyrinthe inquiétant qui pose la question de l’existence, mais aussi de la création artistique. Dans cette mise en scène, Witkiewicz se dédouble d’abord à travers un personnage scandant les interrogations de l’auteur, comme celles du rôle du théâtre, de sa forme, ou encore de l’homme créateur, mais aussi au travers de Léon qui lui, déambule dans cette sorte de purgatoire existentiel. La question de la création artistique est sans cesse mise en perspective avec celle de l’existence, l’incapacité de Léon de trouver son accomplissement artistique rejoint celle de sa mère dans l’éducation de son fils, chacun essayant vainement d’échapper au destin fatal de la création. Dans ce monde métaphysique, l’humour reste présent et sous-tend la plupart des tableaux.

La recherche de la « forme pure »

Witkiewicz écrit Matka en 1924, un an après avoir développé sa théorie de la forme pure au théâtre. Il soutient dans cette théorie que le théâtre ne devrait pas se plier à la recherche d’une cohérence psychologique des personnages, mais à la recherche d’une forme scénique capable de capturer « l’unité transcendantale de l’existence ». Il insiste alors sur l’importance du rêve et de l’inconscient. Elizabeth Czerczurk, sans chercher la forme pure dans sa mise en scène s’appuie cependant sur le patrimoine de l’auteur et propose un théâtre radical, au centre duquel elle place l’humain et sa capacité de résistance à l’uniformisation de la pensée. 

La mise en scène d’Elizabeth Czerczurk nous transporte dans un monde acide, en suspension, dans un voyage à travers des rivages brumeux, souligné par la dureté de la musique techno. Autour des personnages gravitent d’inquiétantes figures féminines réalisant des chorégraphies percutantes. Au centre, Matka et Léon portent des costumes qui leur imposent plus fortement encore les rôles auxquels ils voudraient échapper : Matka se présente d’abord en veuve puis en mariée, alors que Léon porte une longue cape rouge au col montant qui lui donne l’allure d’un tyran grotesque. Les personnages flottent au sein de cette folie, se pliant à une forme de tragique qui n’a de cesse de s’imposer à eux.

Le spectateur : en immersion ou à distance ?

Pour apprécier pleinement la pièce, le spectateur n’a d’autre choix que d’y prendre entièrement part. D’abord parce que les comédiens nous y invitent, tout au long de la pièce, mais aussi du simple fait que nous observions le spectacle depuis une pelouse, comme si nous participions à l’événement, que nous étions devenus, nous aussi, des créatures de l’auteur. De plus, dans sa manière de désarticuler la cohérence à laquelle nous sommes habitués, de nous transporter dans une autre logique que la nôtre, la pièce nous contraint à renoncer à notre manière de comprendre, d’appréhender, pour nous introduire dans l’univers de Matka. Une originalité certaine et attractive.

Cependant, cette immersion absolue dans la proposition métaphysique d’Elizabeth Czerczuk, qui étend celle de Witkiewicz, se trouve parfois freinée par le traitement de la mise en scène : une exagération dramatique vient parfois tirer un sourire, voire un rire franc aux spectateurs, qui regagnent alors leur distance réconfortante avec la pièce. Même si la dimension humoristique de la pièce est une volonté du metteur en scène, cette mise à distance dépouille en même temps le spectateur de sa capacité d’être partie prenante de son univers qui, bien qu’il pose des questions actuelles quant à l’assujettissement de l’humain par une société normative et réductrice pour l’individu, les pose dans un langage qui nous semble peut-être un peu dépassé aujourd’hui par son outrance, avec ses personnages peu nuancés univoquement plongés dans la tragédie. Cela se ressent d’autant plus à notre époque où les technologies mises au service du pouvoir ont atteint un degré de manipulation des individus bien plus subtile, qui s’exerce de manière souvent occulte, sans être immédiatement perceptible.

 

Elise Berlinski, Arts-chipels.fr

L’art de désorienter le spectateur

C’est à nouveau à une saga bien étrange que nous convie Elizabeth Czerczuk avec Matka, le second volet de danse-théâtre de son triptyque Les Inassouvis, dont nous avons pu voir le troisième, Dementia Praecox 2.0, dans ce même théâtre-laboratoire en décembre dernier. Un univers sombre, certes empreint de pessimisme mais toujours poignant, nourri par toutes les vicissitudes de notre monde, dans la lignée de ceux de ses compatriotes et maîtres polonais, Tadeusz Kantor, Henryk Tomaszewki et Jerzy Grotowski. Créée à l'origine en 1996, cette nouvelle présentation de Matka qui nous est offerte aujourd’hui bénéficie d’une mise en scène réactualisant les relations entre ses différents personnages. C’est une œuvre puissante, plus théâtrale que dansée mais, peut-être, moins spectaculaire que Dementia Praecox 2.0, laquelle s’avérait être une libre adaptation de la folie au travers des personnages du "Fou" et de la "Nonne" de Stanislaw Ignacy Witkiewicz (cf. mon analyse à cette date dans ces mêmes colonnes). Adapté du texte éponyme du même auteur, Matka évoque à nouveau un monde étrange, macrocosme de contrastes tout aussi surréaliste qu’absurde dans lequel se dessine au final une lueur d’espoir. Un univers au sein duquel l’on retrouve certains des fous de Dementia Praecox 2.0 parvenus à franchir les barrières de l’enfer pour gagner un purgatoire, pré-paradis où la guérison de leur mal s’avère imaginable. On y retrouve la mère et son fils, respectivement incarnés d’une façon poignante et fort réaliste par Elizabeth Czerczuk et Zbigniew Rola, ainsi qu’une partie du petit monde des fous de Dementia Praecox, dès lors devenus immatériels après avoir perdu quelques bribes de leur apparence humaine. Une œuvre de théâtre total aussi dérisoire que parodique au sein de laquelle l’amour côtoie à nouveau la mort, leitmotiv dans l’œuvre de cette chorégraphe dont l’ambition est de « faire de la folie un art raffiné en célébrant des mariages improbables ».

Le spectacle réunit autour de la mère et de son fils six danseuses, trois musiciens et un narrateur, lequel d’ailleurs ouvre la soirée dans l’atrium du théâtre en déclamant quelques poèmes, entre autres de La Fontaine, Ronsard, Baudelaire, Lamartine ou Verlaine, laissés au choix et à l’appréciation des spectateurs. Mise en condition aussi surprenante que déstabilisante quand on sait que la suite du spectacle qui n’a rien d’éthéré va paradoxalement nous plonger dans la décadence « où l’alcool coule à flots, où la drogue circule plus librement que la parole »… Bien plus que de nous surprendre, l’art d’Elizabeth Czerczuk se veut un "art du choc" au sens propre du terme, « un art contre les aliénations de notre époque, sans compromis ni demi-mesure » dit-elle. C’est effectivement le but qu’elle atteint, tout d’abord en déroutant le spectateur par ses images-choc violentes et colorées à l’extrême (mais d’une certaine beauté dans leur laideur), clichés que l’on se refuse parfois même à admettre… Par cette prise en otage volontaire du spectateur ensuite, lequel, surpris, intimidé, voire abasourdi, n’a guère le temps de réagir, sinon de s’y soustraire en s’enfermant dans sa coquille. Images reflétant bien évidemment la fragilité et la faiblesse de l’Homme mais aussi sa couardise et son incapacité à communiquer autant qu’à réagir et, partant, son intempérance et ses excès… L’amorce de dialogue et la lueur d’espoir qu’elle prône ne surviendront que tout à la fin du spectacle, à l’instar d’une délivrance. Une œuvre visionnaire électrisante, aussi violente qu’étonnante, à mi-chemin entre le théâtre, l’opéra-rock et la danse, qui donne à réfléchir et qui ne peut laisser indifférent.

 

J.M. Gourreau, Critiphotodanse

Un délire savamment organisé

En France, on monte peu Witkiewicz, génial auteur polonais mort de par sa propre décision en 1939 (il se suicida quand il apprit l’entrée des troupes nazies dans son pays). Il avait beaucoup d’avance sur le théâtre de l’absurde et ses pièces se moquent follement de la logique et des certitudes intellectuelles. Polonaise de Paris, Elizabeth Czerczuk a établi un montage à partir de plusieurs textes, suivant l’idée centrale d’une femme à la fois muse et monstre. Tiraillé entre deux femmes – l’acteur est véritablement écartelé par deux jeunes filles qui s’acharnent chacune sur un filin menant au même homme désiré - , un bourgeois évolue dans un monde où défilent des êtres séduisants et vénéneux. Des miroirs et des meubles à roulettes circulent dans l’espace, reflétant ou cachant femmes en robes chic ou en collant, messieurs en frac. Dans ce labyrinthe où s’égarent la vérité et le désir, l’homme en perd son habit sans être certain de survivre dans cet univers nocturne traversé de lumières rouges.

C’est irracontable, d’autant plus que Witckiewicz aime à casser ses histoires et à lancer diverses mises en question théoriques ou farfelues (« On ne sait pas ce qu’est la vie, on ne sait pas ce qu’est la mort »). Elizabeth Czerczuk ne se prive pas de faire de même, dirigeant ses acteurs dans un délire très organisé et soutenu par une musique savamment sournoise de Matthieu Voisin. C’est un spectacle qui ne ressemble à aucun autre, car on ne connaît plus ce style dramatique à Paris. Il faut sans doute remonter aux passages de Tadeusz Kantor et de son Teatre Cricot 2 pour retrouver ce sens du tourbillon funèbre, du grotesque vengeur dont la violence est aussi métaphysique que sociale. Cela peut surprendre, dérouter en notre temps où l’avant-garde a pratiquement disparu. Mais, précisément, voilà une occasion de découvrir un théâtre surprenant qui revendique sa filiation avec les grandes révolutions esthétiques des années 70 et exprime une étrange beauté pugnace.

 

Gilles Costaz, webtheatre.fr

Être réceptif, car le mouvement se déploie sans prévenir

Éloge communicatif d’une folie pas très ordinaire

« La maladie mentale et l’humour noir constituent l’essence de cette pièce où tout n’est qu’illusion et déchéance », précise Elizabeth Czerczuk. 

Avec sa troupe, Elizabeth Czerczuk prend chaque spectateur par la main pour l’entraîner dans l’univers déjanté et glaçant de Dementia Praecox.

Quand ils ne grimacent pas, ils ricanent. Les personnages de cette non-histoire n’en font pas trop pour se faire remarquer, leur accoutrement suffit. Les costumes de Joanna Jasko, tout droit sortis de l’imaginaire collectif des asiles d’aliénés, les situent dans un univers parallèle. La metteuse en scène et chorégraphe, Elizabeth Czerczuk, ne livre pas les clés. Avec Dementia Praecox (démence précoce), inspiré des écrits du dramaturge Stanislaw Ignacy Witkiewicz (suicidé au lendemain de l’entrée des troupes russes en Pologne, le 17 septembre 1939), elle propose non pas d’assister à un énième spectacle sur la folie, mais à chacun, d’une certaine façon, d’en faire partie.

Être réceptif, car le mouvement se déploie sans prévenir

Que ce soit en prenant la main des présents pour les conduire jusqu’à la salle de spectacle, en les invitant à danser, ou en leur grommelant au passage quelques formules pas magiques pour deux sous. Parmi les personnages, un garçon-chien, muselé, allant à quatre pattes grogner aux genoux de l’un ou de l’autre. Une religieuse qui ne convertit personne. Pendant que l’un des personnages se fait « doucher » dans une baignoire à roulettes, un autre dingue, venu en courant du jardin intérieur, se précipite avec force sur la baie vitrée en hurlant. Le garçon-chien aboie et geint.

« La maladie mentale et l’humour noir constituent l’essence de cette pièce où tout n’est qu’illusion et déchéance », précise Elizabeth Czerczuk qui depuis octobre dernier met à l’honneur dans son théâtre (TEC, proche de la place de la Nation) le « patrimoine théâtral et dramaturgique polonais », avec des auteurs comme Witkiewicz, mais aussi Grotowski, Kantor, Gombrowicz. Peu, très peu de paroles intelligibles dans Dementia, quelques-unes en français, quand par exemple l’un des protagonistes déclare que, lorsque l’on fait de la publicité pour le papier toilette (des rouleaux sont offerts aux spectateurs), la troisième guerre mondiale n’est pas loin. Comme une critique évidente de la société de consommation et du système capitaliste dans son entier.

L’aventure s’apparente à une opération de survie. Dans un univers glacé qui n’exclut pas la sensualité torride, quand, munies de faux seins énormes et de fouets, quelques matrones font leur loi ; ou sur un mode différent, quand le garçon-chien, cette fois sur ses deux pattes, chante d’une voix forte et modulée : « Ne me quitte pas/Tout peut s’oublier »… accompagné par les trois excellent(e)s musicien(ne)s, de la compagnie, qui compte vingt comédiens présents sur le plateau. Foule devenue rare sur une scène. Une seule consigne peut être donnée : être attentif et réceptif, car le mouvement se déploie sans prévenir aux quatre coins de l’espace et même sur les murs pour une brève projection qui ajoute à la démesure du propos et renforce l’invitation à s’interroger sur la folie que l’on voudra.

 

Gérald Rossi, L'Humanité, 8 janvier 2018 

Une expérience de la mort à la vie

Comédienne, metteuse en scène, chorégraphe, native de Pologne où elle a suivi une formation théâtrale placée sous les influences de grandes figures artistiques novatrices du pays, Stanislas Ignacy Witkiewicz, Henryk Tomaszewski, Jerzy Grotowski ou Tadeuz Kantor, Elizabeth Czerczuk s’est engagée depuis dans une recherche pluridisciplinaire de nouvelles formes d’expression du théâtre contemporain. Installée en France, où en parallèle de ses créations scéniques elle a également créé dans ce sens le Laboratoire d’Expression Théâtrale, école de comédiens, dont la vocation pédagogique ouverte et stimulante sans frontières accompagne leur formation. Disposant aujourd’hui, dans le XIIème arrondissement de Paris, d’un théâtre adapté à ses créations qui porte son nom, doté d’une salle modulable de 200 places, loges, studios de résidence pour artistes, bar convivial d’accueil du public, Elizabeth Czerczuk a inauguré officiellement ce nouveau lieu avec ce Requiem en forme de bal des fantômes aux tonalités parfois envoûtantes.

Car cette création s’inscrit dans une dominante chorégraphique accompagnée de musiques interprétées par trois musiciens présents sur un plateau pentu, ouvert sans ruptures avec le public. Une vingtaine d’interprètes, en majorité féminins, progressent lentement dans l’espace comme issus du tombeau, développant par touches successives une gestuelle qui s’apparente à un retour à la vie, puis au passé jusqu’à l’enfance, - avec au passage une allusion à La Classe morte de Kantor - dans la quête d’un possible renouveau. A travers les expressions des corps et leurs relations aux objets signifiants, le jeu parfois masqué, les paroles poétiques, les costumes argumentaires et les variations subtiles de lumière, tissent un voyage temporel de dimension métaphysique, qui renvoie le spectateur à ses propres interrogations intérieures, et dans lequel le mélange des genres trouve une forme d’harmonie. Si ce spectacle reste du domaine expérimental et semble prolonger des hypothèses déjà explorées par le passé par certains créateurs, sa metteuse en scène fait preuve d’une originalité exigeante dans sa recherche de théâtralité élargie, dont ce spectacle constitue une nouvelle étape prometteuse.

Jean Chollet, Webtheatre.fr, 21 octobre 2017

DEMENTIA PRAECOX. DANS UN CREUSET POÉTIQUE ET ONIRIQUE, LA PARABOLE DU FOU ET DU SAGE

Librement inspiré d’une pièce de Witkiewicz, ce spectacle, d’une grande force plastique, remet au goût du jour l’interrogation des années post-1968 sur le rapport scène-salle.

Lorsqu’on pénètre dans le théâtre, on laisse à l’entrée la quiétude bourgeoise, rassurante, d’un théâtre « parisien » pour découvrir un lieu curieux, un peu inquiétant, entre cabaret et chapelle à messes noires. L’ambiguïté est de règle. Le noir et le rouge dominent un espace peuplé de mannequins, grandeur nature, qui rappellent l’esprit décadent du Berlin des années 1920 : hommes en bas résille, femmes vêtues de dessous affriolants, etc. Éros et Thanatos sont les esprits des lieux. Le spectacle nous emmènera du bar décalé, étrangement peuplé, où on nous invite à entrer, vers la salle où se déroule le spectacle. Déjà un certain rapport scène-salle est aboli : ce sont les comédiens qui nous prennent par la main pour nous entraîner dans leur univers.

La violence d’un portrait-charge contre la »normalité » de la société 

La pièce de Witkiewicz, le Fou et la nonne, met en scène un poète, Walpurg, enfermé comme fou, que le médecin pense guérir par la psychanalyse et maintient « au calme » par l’usage abusif et répété de drogues. L’arrivée d’une nonne dans sa cellule va tout faire basculer. Reniant la « normalité » d’un monde inacceptable où s’étalent les absurdités de la religion, celle-ci jette sa cornette aux orties et sa vertu avec. Quant au poète, il retrouve le goût de créer. La pièce révèle un monde en plein dérapage où crimes, suicide et résurrection forment le soubassement de l’inacceptable. Qualifiée de « cabaret expressionniste » par les critiques lors de sa première présentation en 1959, la pièce, rédigée en une nuit, dit-on, sans relecture, développe un humour subversif et iconoclaste et fait de l’érotisme l’un des ressorts de la libération. Comme dans le Système du professeur Goudron et du docteur Plume d’Edgar Allan Poe, les fous deviennent les gardiens et les « sages » des aliénés dans un maelström où sombrent les conventions et les diktats sociaux. 

L’esprit et la lettre

De cette pièce, Elizabeth Czerczurk retient davantage l’esprit que la lettre. Le texte qui résonne par bribes tout au long du spectacle laisse la place à une vision apocalyptique et chorégraphiée plus que purement théâtrale. Très plastique et esthétiquement forte, la mise en scène s’inscrit d’emblée hors du réel, dans un univers onirique où l’hybridation dit l’abolition des frontières entre folie et normalité, où chaque personnage, pris au piège de son propre délire, dénonce en même temps les facteurs qui l’ont poussé vers la folie et ont fait de lui un être en marge, enfermé par la société qui ne peut tolérer le désordre qu’introduit sa déviance. Convulsive, elle rappelle la puissance intérieure invoquée par Artaud pour mettre à bas un certain théâtre, se libérer et retrouver une forme première, essentielle, détachée des conventions, un théâtre de la « peste ».

Entre Grotowski et Kantor

Polonaise, Elizabeth Czerczurk marche sur les traces de ses aînés. À Grotowski, elle emprunte la volonté de dépasser le clivage entre théâtre, danse, chant et rituel et son souci de rendre à l’acteur un jeu organique et immédiat. Elle reprend la « nécessité d’abolir la distance entre l’acteur et le public, en éliminant la scène, en détruisant toutes les frontières. Que les scènes les plus drastiques se produisent face à face avec le spectateur afin qu’il soit à portée de main de l’acteur, qu’il sente sa respiration et sa sueur. » Les spectateurs de Dementia praecox ne sont pas séparés des aliénés. Point de scène surélevée, de vision purement frontale. L’espace du jeu descend en pente douce vers une allée centrale de part et d’autre de laquelle sont assis les spectateurs. Nous sommes au milieu de ce monde en délire. Bientôt nous serons conviés à y participer en devenant nous-mêmes, l’espace d’un moment, les partenaires des acteurs dans un bal où les frontières se délitent.

De Kantor et de Cricot 2, elle reprend la conception radicale héritée du dadaïsme, la mise en accusation du pouvoir et de ses abus, de la violence faite aux hommes, mais aussi les réminiscences qui font remonter à la surface les revenants de la mémoire, avec leurs lambeaux d’enfance, la force plastique de ces visages blanchâtres, livides, à travers lesquels parlent d’autres voix que les leurs, qui font surgir autre chose que ce qu’ils sont. Images « de la fin de la vie, de la mort, de la catastrophe, de la fin du monde. Non sans raison ».

Au-delà du « quatrième mur »

On l’aura compris : pour profiter pleinement du spectacle, il faut accepter de laisser au vestiaire sa peau de spectateur consommateur, céder un peu de soi, lâcher la bride pour passer de l’autre côté du miroir. Ce qui fait le prix du spectacle en fait aussi la limite. Lorsque dans les années 1970, l’espace scénique se trouvait réinterrogé, remis en cause, contesté par des metteurs en scène aussi divers qu’Antoine Vitez, Luca Ronconi ou Ariane Mnouchkine, on était de plain-pied avec une société qui questionnait tous ses présupposés, repensait le rapport scène-salle comme les relations entre les individus. Le théâtre et la vie allaient de pair. Dans la phase de rétrécissement que nous connaissons aujourd’hui, dans ce retour vers des « valeurs » stabilisantes et stables, que penser de ces formes qui affirment leur divorce d’avec la société ? Elles paraissent à la fois fascinantes par leur permanence entêtée et en même temps dérisoires tant la machine à araser tout ce qui dépasse, tant l’équarrissage pour tous ont été impitoyables. Alors, faut-il se féliciter que le théâtre retrouve aujourd’hui d’anciennes valeurs contestataires ou penser que cette remise au goût du jour a des allures de musée de cire où sont exhibées les vieilles gloires ? S’il n’est pas possible de lever clairement la contradiction, la gêne demeure…

 

Sarah Franck, Art-chipels.fr, 9 janvier 2018

Scènes d’une folie peu ordinaire

Immersion dans le monde de la folie, Dementia Praecox 2.0 d’Elizabeth Czerczuk puise chez les maîtres polonais sa capacité à s’attaquer au présent. Avec une inquiétante et inhabituelle beauté. 

C’est dans une robe blanche aux armatures apparentes, un enfant de tissus bien calé dans les bras, qu’Elizabeth Czerczuk se présente au public rassemblé au bar de son théâtre. Sa démarche tournoyante et son expression étrange, méditative, fait office de signal de ralliement. Le visage assorti à la tenue de la maîtresse de maison, la tête couronnée de bandages et le corps parcouru de spasmes, la vingtaine de danseurs et comédiens de Dementia Praecox 2.0 rejoint la mère-derviche aux longs cheveux blonds. Et entame sans attendre une série de petits rituels qui nous feront traverser une partie du superbe lieu de l’artiste d’origine polonaise, dont les peintures rouges et noires et les allures de cabinet de curiosité gothique s’accordent à la mise des créatures souriantes malgré l’enfermement qu’on devine. Malgré la douleur. Quelque part entre le surréalisme et le burlesque, la compagnie d’Elizabeth Czerczuk reprend son petit manège de vie et de mort là où l’avait laissé son Requiem pour les artistes, première partie d’un triptyque sur le purgatoire qui s’achèvera au mois de mars avec Matka. Après un hommage explicite à ceux qu’elle reconnaît comme ses maîtres – parmi lesquels Tadeusz Kantor, Antonin Artaud Jerzy Grotowski, avec qui elle a travaillé à ses débuts en Pologne –, l’artiste adapte très librement Le Fou et la nonne (1923) de Stanislaw Witkiewicz. Un écrivain, philosophe et peintre assez peu connu en France mais fameux en Pologne, dont l’œuvre théâtrale fut consacrée à la recherche d’une « Forme pure ».

Scènes d’une folie peu ordinaire

Davantage visuelle, physique et musicale – excellents, Thomas Ostrowiecki à la percussion, Anne Darieu au violon et Karine Huet à l’accordéon se joignent au mouvement général – que textuelle, la pièce d’Elizabeth Czerczuk offre une expérience cathartique peu commune. Foisonnante et d’une grande précision. Immersive, mais jamais au détriment du sens, priorité de la comédienne et metteuse en scène qui cultive son entre-deux théâtral depuis son entrée au Conservatoire de Paris en 1991. À travers leurs scènes de folie débridée et tout en contrastes, la nonne rockeuse, le fou verbeux et tous les bizarres personnages de Dementia Praecox 2.0 composent en effet un miroir de notre temps dans lequel on se mire avec un bonheur mêlé d’effroi. Formés pour moitié environ au Laboratoire d’Expression Théâtrale que dirige Elizabeth Czerczuk au sein de son théâtre, les interprètes de cette fresque hybride n’ont qu’à déployer leur pantomime tressautante pour dire leur rapport au monde. Leur culte du paradoxe et leur méfiance envers l’image, qu’ils prennent visiblement plaisir à malmener lors d’une courte projection de Culture Pub et d’une distribution commentée de journaux. Tendres autant que bagarreurs, les aliénés qui investissent la belle salle transformable de deux cents places de ce théâtre si singulier n’ont guère besoin de beaucoup de mots pour nous en conter beaucoup.

Anais Heluin, La Terrasse, 20 décembre 2017

Un art total tourné vers le happening

Vous souvenez-vous de la Giselle de Mats Ek ? C'est dans le même univers, celui d'un  hôpital psychiatrique que nous emmène par le théâtre, le mime et la danse Elizabeth Czerczuk dans un périple au cours duquel le spectateur aura tout loisir de côtoyer, voire d'étudier de près, de très près même, toutes sortes d'aliénés. En effet, en franchissant sa porte, ne rêvez pas vous retrouver confortablement assis dans un fauteuil comme vous en avez l'habitude dans un théâtre classique, n'espérez pas boire les paroles de vos comédiens préférés de la même manière que s'ils étaient sur un plateau, ne vous imaginez pas vous pâmer devant les entrechats de vos étoiles favorites comme si vous étiez à l'Opéra, ne pensez pas goûter à la musique comme lorsque vous vous trouvez vautré dans votre divan. Non, vous partagerez l'intimité de ces êtres et leurs états d'âme, vous les côtoierez comme s'ils faisaient partie de votre cercle d'amis les plus proches, vous vivrez leur quotidien tel qu’ils le vivent. Car Elizabeth Czerczuk, élève et émule de Jerzy Grotowski, polonaise tout comme lui, a éprouvé l'envie et le besoin de bousculer les traditions et de vous extraire de vos habitudes, afin de vous faire vivre aussi intensément que possible les personnages qu’elle met en scène, avec lesquels elle cohabite, auxquels ses acteurs et elle-même s’assimilent. Fondateur du « Théâtre laboratoire (Teatr Laboratorium) de Wrocław », Grotowski doit en effet sa notoriété au fait que ses spectateurs, en très petit nombre, partageaient le même espace scénique que les acteurs. Pas de décor, pas d'effets de lumière, pas de grimage, pas de costumes. Pour Grotowski, "l'acteur était le tout du théâtre et le théâtre était là pour favoriser son passage à un degré d'humanité plus vrai que le degré quotidien. Tout se jouait donc sur l'extraordinaire intensité dramatique et physique d'artistes supérieurement entraînés, sur les qualités expressives de leur voix et sur leur présence presque insoutenable dans l'espace. En dépit de son éclat parfois violent, l'action obéissait à la précision rigoureuse et comme nécessaire d'un rite". En fait, ce n’était pas un théâtre au sens habituel du terme mais plutôt un institut « scientifique » qui se consacrait à la recherche dans le domaine de l’art de l’acteur, un théâtre qui, comme l'a écrit Peter Brook, serait un "véhicule  qui entraîne ses passagers moins à représenter des rôles qu'à se connaître eux-mêmes et, surtout, à se reconnaître entre eux. (…) L'acteur est une fin, alors que le rôle est secondaire ; le rôle est un attribut du théâtre, et pas un attribut de l'acteur." 

Cette technique, fondée par conséquent "sur le travail de l’intégralité du corps et des émotions" est aussi celle d’Henryk Tomaszewski dont Elizabeth Czerczuk a également été non seulement l’élève mais, aussi, la première directrice de son théâtre après sa mort. Si la conception du spectacle chez Grotowski était davantage tournée vers le théâtre, celle de Tomaszewski l’était surtout vers le mime et la danse. Toutefois ces deux artistes partageaient le même intérêt passionnel pour toutes les formes de rituels et de pratiques contrôlées de la transe. Il en résulta la conception d’une technique corporelle plus exigeante et d’un système de représentation davantage centré sur l'identification du corps à l'objet que sur les émotions ou le rapport du sujet à l'objet. L’art d'Elizabeth Czerczuk, qui fonda en 2013 le Théâtre-laboratoire qui porte désormais son nom, résulte de la fusion des deux techniques élaborées par ses deux maîtres, Grotowski et Tomaszewski. Pour cette artiste, la participation du public à ses spectacles permet à celui-ci de se libérer de ses angoisses afin de mieux se déplacer dans l’espace de la vie. Ce lieu, qui vient tout juste d’être rénové et agrandi, lui permet désormais, outre de présenter ses spectacles, d’accueillir en résidence de nouvelles compagnies.

Eloge du monde de la folie auréolée d’une musique originale signée Sergio Gruz et Julian Julien, Dementia Praecox2.0 est le second volet d’une trilogie dont les deux autres, Requiem pour les artistes et Matka, ont été composés antérieurement. Dans cette pièce interactive vue sous l’angle de Tadeuz Kantor dont l'art s'inspirait du constructivisme, du dadaïsme et du surréalisme, se côtoient une vingtaine de personnages somptueusement nippés, tous atteints de différents types de folie à divers degrés, depuis la perte de confiance jusqu’à la folie furieuse, en passant par la prostitution par manque d’amour. Tout l’art de la chorégraphe-metteur en scène, toute sa force et son talent consistent à rendre ses personnages actuels, à faire en sorte qu'ils soient parfaitement « lisibles », à contraindre le public à partager leur état, afin "d’éveiller sa sensibilité pour qu’il comprenne les angoisses et la souffrance de ses aïeux". D’où la nécessaire promiscuité - pour ne pas dire fusion - entre acteurs-danseurs et spectateurs. Cela pourrait paraître parfois dérangeant pour ces derniers. Ce ne l’est pas, et c’est bien là le prodige car tout se passe dans la confiance et, finalement, le message est parfaitement perçu. S'il n'est pas réellement nouveau, ce processus créatif qui redimensionne le travail du comédien entraîne le public dans une véritable catharsis et permet au théâtre contemporain de se réengager dans une voie encore insuffisamment explorée.

 

Jean Marie Goureau, Critiphotodanse, décembre 2017

Le théâtre Polonais, c'est de la folie

La compagnie d’Elizabeth Czerczuk, à Paris, développe un art cathartique expérimental d’une grande singularité

Derrière une façade discrète de la rue Marsoulan, dans un XIIe arrondissement où les lieux culturels se font rares, le Théâtre Elizabeth Czerczuk offre au visiteur un dépaysement immédiat. Rouvert le 5 novembre, après des travaux qui, selon les habitués, l’ont rendu méconnaissable, l’endroit nous introduit dans l’univers tout en contrastes de l’artiste d’origine polonaise. Peintures noir et rouge, lustres en cristal, mannequins de plastique aux tenues dignes de films d’épouvante de série B… Nous sommes là très loin des atmosphères neutres de nos théâtres publics, conçus pour accueillir des esthétiques diverses. Rien à voir non plus avec le luxe désuet affiché par la plupart des théâtres privés. Privé, le Théâtre Elizabeth Czerczuk l’est pourtant. Mais d’une manière bien à lui. Propriété de la compagnie dont il porte le nom, il est le laboratoire d’un théâtre qui puise ses racines chez les grands maîtres polonais des années 1950-1970.

C’est au bar du théâtre, au début du spectacle Dementia Praecox 2.0, que nous rencontrons Elizabeth Czerczuk. Vêtue d’une robe blanche aux armatures apparentes, une poupée dans les bras, elle va comme chaque soir à la rencontre du public avec les interprètes de sa pièce. Le visage livide et la tête ceinte de bande- lettes, habillés de blouses d’hôpital, agités par des tremblements mais le sourire aux lèvres, ils entraînent leurs convives d’un soir jusqu’à une baignoire installée un peu plus loin. À l’intérieur, un jeune homme presque nu se laisse frotter le corps par un compagnon muni d’une brosse, tandis que d’autres entreprennent de le tirer à travers le hall du théâtre.

« Je veux entrer en contact de manière directe avec le spectateur. Lui offrir une catharsis qui lui permette de s’extirper un temps du galop quotidien dans lequel nous vivons », explique l’artiste. Tous aussi intenses, souvent chorégraphiques, une série de tableaux de folie se succèdent. Glaçants et drôles à la fois. Superbes.

Aménagée pour l’occasion en un dispositif bifrontal, la salle transformable de 200 places offre un espace idéal à la révélation des tics et des obsessions de chacun des vingt personnages, plus les trois musiciens qui rythment leurs étranges rituels. Parmi ces  créatures remuantes, certaines se détachent. Une nonne aux déhanchements et au swing spectaculaires, notamment, ainsi qu’un poète qui s’exprime par citations. Parmi lesquelles des bribes du Fou et la Nonne (1923) de l’écrivain, philosophe et peintre Stanis- law Witkiewicz (1851-1939), méconnu en France mais célèbre en Pologne.

Auteur favori d’Elizabeth Czerczuk, ce dernier est à l’origine de bon nombre des spectacles qu’elle crée depuis 1992 avec sa compagnie. Comme Requiem pour les artistes, par exemple, spectacle-hommage à Witkiewicz, à Antonin Artaud et à Tadeusz Kantor (1915-1990), avec qui elle a fait ses débuts en Pologne, où elle a aussi travaillé avec Jerzy Grotowski (1933-1999). Un artiste dont le « théâtre pauvre », centré sur le corps de l’acteur, a marqué les scènes françaises et internationales à partir des années 1970.

En mars prochain, Matka, librement inspiré de La Mère, de Witkiewicz, viendra clore le triptyque sur le purgatoire entamé avec Requiem. Après quoi, Elizabeth Czerczuk poursuivra le développement de son théâtre, qu’elle revendique comme « total » et « métaphysique ». « Métissé » également, du fait de son ancrage français de longue date – dès 1991, elle est entrée au Conservatoire de Paris où elle a suivi l’enseignement de Daniel Mesguich, de Philippe Adrien ou encore de Jean-Pierre Vincent et de son désir de trouver un langage adapté à son public. Un public qu’elle juge « très différent de celui de ses maîtres ». « Soumis non seulement à un autre rythme de vie, mais aussi à un flux d’images que le théâtre doit permettre d’interrompre le temps d’une représentation. Pour nous reconnecter à notre part de fantasmes. »

Autant qu’un théâtre cathartique, c’est donc un théâtre de résistance que pratique Elizabeth Czerczuk, accompagnée par des artistes fidèles et de nouvelles recrues. Par les élèves de son Laboratoire d’expression théâtrale aussi, qu’elle forme tout au long de l’année à son « théâtre du corps et de l’émotion ». À son art du paradoxe, où la mort est pleine de tendresse et la folie très saine dans son refus duprêt-à- penser. Dans son goût de l’échange et de la réflexion qui fait du lieu d’Elizabeth Czerczuk un endroit à part, lequel accueillera bientôt en résidence d’autres compagnies aux esthétiques « radicales ». Un adjectif que la maîtresse des lieux ne craint pas d’employer en ces temps de modération théâtrale.

Anais Heluin, Politis, 21 Décembre 2017 

Création foisonnante qui se déploie partiellement en libératoire et en interactivité totale avec le public

Saisie au vol par une oreille attentive, une phrase prononcée au cours d'un prologue déambulatoire, annonce le registre du spectacle auquel convie Elizabeth Czerzuk avec "Dementia Praecox 2.0", la dernière mouture en date d'un opus en working process permament : "une catharsis dont vous sortirez, peut-être, indemne".

Soit une immersion dans le monde de la folie inspirée par une oeuvre du dramaturge polonais Stanislaw Ignacy Witkiewicz qui, prônant la théorie de la forme pure, s'inscrit dans la mouvance de l'avant-gardisme du début du 20ème siècle, du surréalisme du théâtre Dada au théâtre mécanique des Futuristes, avec la recherche de nouvelles formes dramaturgiques et de mise en scène qui, d'une part, seraient libérées de l'entrave verbale que constitue le texte.

Et d'autre part, elles ne viseraient pas à la représentation illusionniste assujettie au réalisme et au psychologisme mais à un théâtre d'images dans le rapport au réel, vécu conjointement par les acteurs et les spectateurs, dans un système de jeu plastique basé sur la dramaturgie du corps qui se rapproche du théâtre performatif contemporain.

Dans "Le Fou et la Nonne", sous-titrée "Le malheur des uns fait le malheur des autres" et présentée par son auteur comme une "courte pièce en trois actes et quatre tableaux, dédiée à tous les fous du monde, y compris ceux des autres planètes de notre système ainsi que des planètes des autres soleils de la voie lactée et autres galaxies et à Jan Mieczyslawski", Witkiewicz décline, à travers les personnages d'un poète interné dans un asile psychiatrique qui tombe amoureux d'une nonne chargée de l'apaiser, les thématiques récurrentes.

Soit, et entre autres et outre la déclinaison des rites sabbatiques de la Nuit du Walpurgis, la frontière fluctuante entre folie et normalité ainsi qu'entre génie et folie, la société répressive dont les artistes sont les premières victimes, l'anticléricalisme, l'érotomanie et la parodie de la psychanalyse.

Comédienne et metteuse d'origine polonaise totalement investie dans cette démarche artistique placée sous les figures tutélaires de Tadeusz Kantor et Jerzy Grotowski, Elizabeth Czerczuk vise donc à un "théâtre chorégraphié" qui préside à cette création foisonnante qui se déploie partiellement en libératoire et en interactivité totale avec le public qui est invité à rejoindre la sarabande des fous.

Dans une esthétique de cabaret expressionniste avec la musique-fusion originale de Sergio Gruz et  Julian Julien et les extravagants costumes confectionnés par Joanna Sroka Jasko, se déroule une succession de scènes menées par la troupe du Théâtre Elizabeth Czerzuk composée de comédiens, chanteurs et danseurs au parcours atypiques. 

Procession des fous, déambulation psychotiques, sarabande des camisoles, tour de Babel des démences en cacophonique volière polyglotte à l'instar du cosmopolitisme des officiants, parade de freaks et miroir tendu à la face du monde, s'avèrent, selon la sensibilité de chacun, ou/et sidérantes, fascinantes, déroutantes, roboratives, angoissantes, jubilatoires.

 

MM, Dementia Praecox 2.0, froggydelight.com

"Dementia Praecox" : une oeuvre d'art aussi fascinante que dérangeante

Sur scène s'opère une représentation de la vie. Et qu'est-ce donc qu'une représentation de la vie sinon l'art ? "Dementia Praecox" questionne la relation qui existe entre une oeuvre et son public. Le spectateur est nécessaire pour que l'art ait une existence. Sans personne pour l'appréhender, alors il ne signifie plus rien. Le spectateur fait partie intégrante de l’oeuvre. 

Le spectacle envahit tout l'espace. Il n'y a pas une scène prédéfinie. Alors que le public attend devant le coin bar, les comédiens défilent les uns derrière les autres. Ils poussent des cris spontanés, éclatent de rires hystériques, survenus de nulle part, qui s'arrêtent aussi promptement qu'ils se sont échappés. Ils nous regardent, nous dévisagent, nous découvrent. Nous sommes leur spectacle. Ils jouent avec nous, ils jouent de nous. 

Les habits et les coiffures sont ceux des fous. On ne sait pas bien à quoi ce mot se réfère, mais on sait que c'est fou car ce n'est pas normal, ce n'est pas ce dont nous avons l'habitude. Les démarches sont singulières ; s'organise une sorte de chorégraphie, qui sera plus ou moins dansée en fonction des moments. Il se dégage une émotion bien réelle de l'échange entre le jeu et le public. La performance en elle-même est remarquable : l'exercice est très physique et demande un grand investissement du corps. Mais les artistes mobilisent également leur sensibilité. Se manifestent chez les spectateurs des sentiments similaires à ceux qui nous touchent lorsque nous traversons une galerie où sont exposés les chefs-d'oeuvre d'artistes performants : de la nostalgie, du dérangement, de la tendresse, de l'espoir… Cette oeuvre bouleverse. 

Nous serons parfois invités à participer à ce qui ressemble à une fête. Le public est installé de part et d'autre de l'aire principale de représentation. Les comédiens iront les chercher un par un, les invitant à se joindre à eux. Déjà l'on observe une façon différente de se mouvoir. Les fous dansent sans se référer aux regards des autres. Ils dansent comme ils en ont envie, pour eux. Alors, nos gestes à nous aussi, sans que nous y fassions attention, s'allongent, se désorganisent. Les comédiens nous libèrent pour quelques instants des conventions sociales. 

Il n'y a que trois types de personnes qui ne se retrouvent pas enchaînées par les normes de la culture : les enfants, qui ne sont pas encore formatés comme la société le voudrait ; les artistes, qui s'affranchissent d'eux-mêmes ; les débiles mentaux (au sens psychologique du terme), qui appartiennent à une autre réalité. Trois types que nous apercevons simultanément devant nous.

La représentation n'est plus seulement de l'ordre du théâtre ; elle devient un art hybride, y mêlant peinture et musique. Le spectacle nous fait l'effet d'un immense tableau vivant et mouvant. C'est une expérience visuelle et auditive qui pourra sembler déroutante pour certains, mais qui sera primordiale pour tout ceux qui s'intéressent à l'art et la société, et au rapport intime qu'il existe entre ceux-ci et l'être humain.

Ludivine Picot, La Revue du spectacle, 13 Décembre 2017 

Ici, rien n'est laissé au hasard.

Dementia Praecox : état de dégénérescence chronique et psychotique survenant chez les jeunes adultes.

Justement, ils viennent nous chercher au bar, ces jeunes « dégénérés chroniques et psychotiques ».
Dans une espèce de ronde des fous, une sorte de chenille aliénée, ils vont nous conduire dans la salle du T.E.C.

Très vite, nous allons nous rendre compte que ces étranges personnages forment une société-miroir, en loques, en camisoles aux longues manches et aux poignées intégrées, en muselières et collerettes en matière plastique transparente, en crinolines métalliques, ou en pseudo uniformes militaires.

C'est notre monde en fusion qu'on nous donne à voir, c'est sa folie, sa dérision, c'est sa démence.

Elizabeth Czerczuk nous propose une vertigineuse et magnifique plongée dans cette satire de nos sociétés malades.

A la croisée des chemins de la danse, du théâtre, de la performance scénique, de l'expérimentation, les quelque vingt-cinq comédiens vont nous mettre face à nos propres aliénations et à nos propres responsabilités dans ce qui est ou va arriver.

Ils seront accompagnés par trois musiciens en direct (accordéon, violon et percussions), ainsi que par les loops, les boucles, les pulsations et les musiques oniriques et troublantes de Julian Julien.

Nous allons assister à différents tableaux plus forts, plus coup-de-poing les uns que les autres.
Ce sont des chocs visuels, sonores, dramaturgiques qui nous sont proposés, ainsi que des chorégraphies suaves, sensuelles, intenses et interactives (votre serviteur s'est retrouvé à se déhancher comme un beau diable sur le dance-floor de cet hôpital à la fois psychiatrique et apocalyptique.

Et puis, après que l'on nous eût distribué des lambeaux de coupures de presse, voici cet homme en long manteau fabriqué de bandes de journaux.

Tel un magnat halluciné de l'information, tel un Citizen Kane atteint au dernier degré de schizophrénie, tel un Mark Zukerberg on ne peut plus paranoïaque et lucide, il nous prévient : la publicité pour le papier toilette va déclencher la troisième guerre mondiale !

En me prenant par l'épaule, et en me faisant déambuler à ses côtés, j'ai pleinement compris son message.

Ici, tout nous explose à la figure, tout nous saute au visage : la musique, le son, les chansons (nous entendrons, complètement bouleversés, une sublime et peut-être ultime version de « Ne me quitte pas ») !

Art viscéral, art plus que brut, théâtre expérimental, engagé, expression cathartique de nos incohérences ?
Certes. Mais ici, rien n'est laissé au hasard.

Elizabeth Czerczuk, metteure en scène et chorégraphe orchestre tout ceci de façon millimétrée, en adaptant librement la pièce « le fou et la nonne » de l'auteur polonais Stanislas Ignacy Witkiewitcz.

Que de travail, que de boulot, que d'heures de répétitions pour nous jeter en pleine figure cette apparence de chaos !
On ne peut pas dire qu'assister à ce spectacle laisse indifférent.
Au contraire, nous sommes vraiment pris à partie par le biais de cette folie communicative, à la fois originelle et ultime, par cette impression de vivre une expérience aliénante et en même temps libératrice.
Oui, c'est un théâtre qui vous entraîne dans un maelström poétique, dans une pulsation démentielle et une sarabande exutoire.
C'est un théâtre qui fait que le chroniqueur-critique n'a qu'une envie en sortant de la salle : coucher sur le papier ses impressions le plus à chaud possible, afin d'essayer de transcrire au mieux tout ce qu'il a vu et ressenti.

Ils sont finalement rares, ces spectacles-là.

Yves Poey, De la Cour au Jardin, 8 décembre 2017

Elizabeth Czerczuk rouvre son théâtre après travaux avec un spectacle plein d’énergie inspiré par les maîtres polonais

Lorsqu’on pénètre à l’intérieur du tout nouveau Elisabeth Czerczuk Théâtre, situé dans un immeuble d’une petite rue du XIIe arrondissement de Paris, on se demande si on ne s’est pas trompé de lieu. Ces murs noirs et grenat, ces lustres en cristal, cet alignement de mannequins vêtus de cuir évoquent davantage un lieu voué au libertinage qu’un théâtre et laboratoire de radicalité artistique ! Pourtant, la maîtresse des lieux, Elisabeth Czerczuk, née à dans la patrie de Jerzy Grotowski (auprès duquel elle a travaillé), Tadeusz Kantor et Henryk Tomaszevski, assume pleinement cette théâtralisation destinée à « installer immédiatement le visiteur dans une ambiance particulière, qu’il retrouvera dans les spectacles ». De fait, on comprend dès les premières secondes de sa nouvelle création, Requiem pour les artistes, que l’on a affaire à une proposition tout aussi insolite que le lieu dans lequel il est présenté. Bienvenue donc en enfer où une cohorte de morts-vivants, lestés de lourdes valises, revit son passé. L’héritage avec les grandes figures du théâtre polonais est évident : les vieux bancs et pupitres de bois, les valises, la mort qui rôde, évoquent le vocabulaire et les obsessions de Tadeusz Kantor qui révolutionna la scène théâtrale française au milieu des années 70.

Tourbillon d'images fortes

L’idée d’art total, chère à Kantor, s’inscrit aussi pleinement dans ce spectacle où musique, danse et mime tiennent plus de place que la parole, elle-même murmurée, criée ou pleurée, en polonais, italien, anglais, français… Qu’est-ce que cela raconte ? On n’est pas sûr de toujours tout comprendre. Qu’importe ! Il faut accepter de se laisser porter, de plonger dans ce tourbillon d’images fortes et de mouvements mécaniques, dans ces apparitions oniriques où le surréalisme n’est jamais bien loin. Il y a du Tim Burton dans les maquillages et les costumes, du Dali dans cette pente inclinée qui déstructure la perspective, du Bob Wilson dans les mouvements – même s’ils n’atteignent pas sa précision millimétrée. Il se dégage surtout une formidable énergie, une envie de se donner entièrement, et la croyance que le théâtre est un art nécessaire autant que cathartique. Sans doute aurait-il fallu plus de contrastes pour que l’envoûtement soit complet, sans doute le travail d’Elisabeth Czerczuk tient-il plus de l’hommage, même revisité au XXIe siècle, que de l’invention véritable d’une expression scénique. Il reste que par sa démarche sincère, par l’engagement des artistes, par sa force vitale, ce spectacle invite à un embarquement immédiat.

 

Isabelle Stibbe, La Terrasse, 14 octobre 2017

Requiem pour les artistes au TEC : audacieux et ténébreux !

Lors de la visite inaugurale du tout nouveau Théâtre Elizabeth Czerczuk ou TEC, l’esprit insufflé par la maîtresse des lieux nous avait impressionnés… L’initiation à son univers confidentiel se poursuit avec sa dernière création, Requiem pour les artistes. Ce « théâtre chorégraphique » nous mène d’un ballet funèbre à une apologie de la vie dans un style dont la beauté viscérale se trouve être à la fois saisissante et envoûtante.

Une musique ardente et imperceptiblement inquiétante accueille un cortège de morts-vivants aux costumes et maquillages troublants de perfection. Ces pantins désarticulés aux valises trop lourdes entament une danse convulsive dont la vigueur et l’intensité semblent trouver leurs sources dans le désespoir qui les habitent.

La purification nécessaire aux défunts pour atteindre un état de grâce va alors se manifester sous la forme d’une transe exutoire. Avec les valises en allégorie, ils explorent le passé, se heurtent à lui et éventuellement tentent de le rectifier. Finalement, ils vont parcourir un chemin les ramenant à la vie. Telle une résurrection, les personnages réinvestissent leurs corps avec agilité et alacrité.

La portée de ce spectacle est d’éveiller en chaque individu la conscience de sa propre condition. En effet, nous caressons tous l’espoir du bonheur. Mais lorsque celui-ci nous échappe, il ne reste plus que l’angoisse… L’aspect dramatique et funeste  qui nous est présenté a pour but d’éveiller en nous une catharsis.

Elizabeth Czerczuk sait guider sa troupe de façon à ce que l’individualité de chacun magnifie l’ensemble de cet art vivant. C’est assez époustouflant de voir à quel point les comédiens sont animés. Ils rendent chaque représentation unique car ils n’interprètent pas une chorégraphie, ils la vivent avec ferveur et passion.

Mention spéciale à l’accompagnement musical et visuel tout à fait remarquable !

Une chose est sûre, l’empreinte insolite et unique d’Elizabeth Czerczuk ne vous laissera pas indifférent…

 

Jean-Philippe, UnitedStatesofParis.com, octobre 2017

Oubliez un peu tout ce que vous avez déjà pu voir au théâtre

Oubliez un peu tout ce que vous avez déjà pu voir au théâtre – ou ailleurs - et venez découvrir une forme d’expression artistique contemporaine plutôt originale qu’il n’est pas toujours possible d’admirer en salles ni très facile d’appréhender à premières vues ! En effet, dans un décor minimaliste au possible pour ne pas dire quasiment nu (juste 3 fenêtres) sur une scène en partie inclinée, déambule une vingtaine de comédiens et danseurs qui évoluent grimés outrageusement et accoutrés bizarrement façon gothique quelque peu criarde mais de manière assez bigarrée tels des morts-vivants parés pour une soirée style « zombies » en goguette.
Moitié dansé et moitié récité, ce spectacle moderne de mélange des genres plutôt expérimental sort vraiment l’ordinaire voire des sentiers battus, entremêlé de chorégraphies dites classiques mais pas très loin de celles du clip Thriller de Michael Jackson, d’interventions, textes, monologues et autres dialectes oraux énumérés tour à tour en français, en anglais et en polonais (d’autant que cette création originale est l’œuvre d’Elizabeth Czerczuk, originaire de Wroclaw en Pologne, également ici metteur en scène), d’une partition plus ou moins baroque, aussi hallucinée qu’angoissante et entêtante, grâce notamment à la présence de 3 musiciens jouant en live, ainsi que d’attitudes soient excessives, soient dévergondées, soient alors « tournoyantes » qui nous font un peu penser à certaines peintures de Magritte ou aux réactions enjouées et illuminées, empruntées aux films d’Emir Kusturica.


C’est que ce Requiem pour les artistes (polonais ?) fleure bon l’esprit slave de rigueur, sa folie ambiante autant que sa démesure appuyée ou du moins soulignée, sa radicalité chère à son auteur que sa vision créative déstructurée, déglinguée limite foutraque mais néanmoins structurée, sa réalisation au plus près des spectateurs que sa possession - ou son remplissage - de l’espace de tous les instants. Bref, une sorte de version « délirante » mais pas morbide du tout du Bal des vampires revu et corrigé à la tonalité anachronique et à la sauce « zombiesque ». En un mot, une œuvre surprenante dans tous les sens du terme....

 

C.L.B, Sortiz.com, octobre 2017

Dantesque...

Elizabeth Czerczuk nous entraîne au travers d’une chorégraphie dantesque, au fin fond des enfers où une voix envoûtante, langoureuse, réveille les morts.

Nous sommes plongés dans un univers souterrain qui nous prend aux tripes, nous renvoie à notre désir d’immortalité, obsession de vouloir repeindre notre vie, réaliser nos rêves inassouvis, réécrire cette vie bien trop courte.
Un désespoir anime tous ces êtres qui transportent leurs souvenirs dans leurs valises, fardeaux qui leur collent à la peau, les enfermant dans des existences faites de déchirements, d’isolement, de misère dont ils ne peuvent se défaire. Fatalité qui les ramène inexorablement à leurs destins. Les soubresauts des corps sont vains, les cris de désespoir, les pleurs n’y font rien. Les petits pas de la machine infernale restreignent toutes velléités.

Spectacle dansant, grandiose, chaleureux, énergique, d’une grande sensibilité qui nous charme par son esthétique, ses couleurs. La catharsis opère, nous sommes séduits.

 

Mireille Verenies, Holybuzz.com, 7 octobre 2017

Inscrivez-vous à notre Newsletter !
Recevez chaque mois l'actualité et la programmation du T.E.C .

*En cliquant sur ce lien, vous choisissez explicitement de recevoir la newsletter du Théâtre Elizabeth Czerczuk. Vous pourrez vous désabonner à tout moment.
Suivez-nous !

 

RESERVEZ EN LIGNE ICI

Théâtre Elizabeth Czerczuk
20 rue Marsoulan
75012 Paris
01 84 83 08 80/ 06 12 16 48 39
contact@theatreelizabethczerczuk.fr