Menu

Un art total tourné vers le happening

Vous souvenez-vous de la Giselle de Mats Ek ? C'est dans le même univers, celui d'un  hôpital psychiatrique que nous emmène par le théâtre, le mime et la danse Elizabeth Czerczuk dans un périple au cours duquel le spectateur aura tout loisir de côtoyer, voire d'étudier de près, de très près même, toutes sortes d'aliénés. En effet, en franchissant sa porte, ne rêvez pas vous retrouver confortablement assis dans un fauteuil comme vous en avez l'habitude dans un théâtre classique, n'espérez pas boire les paroles de vos comédiens préférés de la même manière que s'ils étaient sur un plateau, ne vous imaginez pas vous pâmer devant les entrechats de vos étoiles favorites comme si vous étiez à l'Opéra, ne pensez pas goûter à la musique comme lorsque vous vous trouvez vautré dans votre divan. Non, vous partagerez l'intimité de ces êtres et leurs états d'âme, vous les côtoierez comme s'ils faisaient partie de votre cercle d'amis les plus proches, vous vivrez leur quotidien tel qu’ils le vivent. Car Elizabeth Czerczuk, élève et émule de Jerzy Grotowski, polonaise tout comme lui, a éprouvé l'envie et le besoin de bousculer les traditions et de vous extraire de vos habitudes, afin de vous faire vivre aussi intensément que possible les personnages qu’elle met en scène, avec lesquels elle cohabite, auxquels ses acteurs et elle-même s’assimilent. Fondateur du « Théâtre laboratoire (Teatr Laboratorium) de Wrocław », Grotowski doit en effet sa notoriété au fait que ses spectateurs, en très petit nombre, partageaient le même espace scénique que les acteurs. Pas de décor, pas d'effets de lumière, pas de grimage, pas de costumes. Pour Grotowski, "l'acteur était le tout du théâtre et le théâtre était là pour favoriser son passage à un degré d'humanité plus vrai que le degré quotidien. Tout se jouait donc sur l'extraordinaire intensité dramatique et physique d'artistes supérieurement entraînés, sur les qualités expressives de leur voix et sur leur présence presque insoutenable dans l'espace. En dépit de son éclat parfois violent, l'action obéissait à la précision rigoureuse et comme nécessaire d'un rite". En fait, ce n’était pas un théâtre au sens habituel du terme mais plutôt un institut « scientifique » qui se consacrait à la recherche dans le domaine de l’art de l’acteur, un théâtre qui, comme l'a écrit Peter Brook, serait un "véhicule  qui entraîne ses passagers moins à représenter des rôles qu'à se connaître eux-mêmes et, surtout, à se reconnaître entre eux. (…) L'acteur est une fin, alors que le rôle est secondaire ; le rôle est un attribut du théâtre, et pas un attribut de l'acteur." 

Cette technique, fondée par conséquent "sur le travail de l’intégralité du corps et des émotions" est aussi celle d’Henryk Tomaszewski dont Elizabeth Czerczuk a également été non seulement l’élève mais, aussi, la première directrice de son théâtre après sa mort. Si la conception du spectacle chez Grotowski était davantage tournée vers le théâtre, celle de Tomaszewski l’était surtout vers le mime et la danse. Toutefois ces deux artistes partageaient le même intérêt passionnel pour toutes les formes de rituels et de pratiques contrôlées de la transe. Il en résulta la conception d’une technique corporelle plus exigeante et d’un système de représentation davantage centré sur l'identification du corps à l'objet que sur les émotions ou le rapport du sujet à l'objet. L’art d'Elizabeth Czerczuk, qui fonda en 2013 le Théâtre-laboratoire qui porte désormais son nom, résulte de la fusion des deux techniques élaborées par ses deux maîtres, Grotowski et Tomaszewski. Pour cette artiste, la participation du public à ses spectacles permet à celui-ci de se libérer de ses angoisses afin de mieux se déplacer dans l’espace de la vie. Ce lieu, qui vient tout juste d’être rénové et agrandi, lui permet désormais, outre de présenter ses spectacles, d’accueillir en résidence de nouvelles compagnies.

Eloge du monde de la folie auréolée d’une musique originale signée Sergio Gruz et Julian Julien, Dementia Praecox2.0 est le second volet d’une trilogie dont les deux autres, Requiem pour les artistes et Matka, ont été composés antérieurement. Dans cette pièce interactive vue sous l’angle de Tadeuz Kantor dont l'art s'inspirait du constructivisme, du dadaïsme et du surréalisme, se côtoient une vingtaine de personnages somptueusement nippés, tous atteints de différents types de folie à divers degrés, depuis la perte de confiance jusqu’à la folie furieuse, en passant par la prostitution par manque d’amour. Tout l’art de la chorégraphe-metteur en scène, toute sa force et son talent consistent à rendre ses personnages actuels, à faire en sorte qu'ils soient parfaitement « lisibles », à contraindre le public à partager leur état, afin "d’éveiller sa sensibilité pour qu’il comprenne les angoisses et la souffrance de ses aïeux". D’où la nécessaire promiscuité - pour ne pas dire fusion - entre acteurs-danseurs et spectateurs. Cela pourrait paraître parfois dérangeant pour ces derniers. Ce ne l’est pas, et c’est bien là le prodige car tout se passe dans la confiance et, finalement, le message est parfaitement perçu. S'il n'est pas réellement nouveau, ce processus créatif qui redimensionne le travail du comédien entraîne le public dans une véritable catharsis et permet au théâtre contemporain de se réengager dans une voie encore insuffisamment explorée.

 

Jean Marie Goureau, Critiphotodanse, décembre 2017

Inscrivez-vous à notre Newsletter !
Recevez chaque mois l'actualité et la programmation du T.E.C .

*En cliquant sur ce lien, vous choisissez explicitement de recevoir la newsletter du Théâtre Elizabeth Czerczuk. Vous pourrez vous désabonner à tout moment.
Suivez-nous !

 

RESERVEZ EN LIGNE ICI

Théâtre Elizabeth Czerczuk
20 rue Marsoulan
75012 Paris
01 84 83 08 80/ 06 12 16 48 39
contact@theatreelizabethczerczuk.fr