Création foisonnante qui se déploie partiellement en libératoire et en interactivité totale avec le public
Saisie au vol par une oreille attentive, une phrase prononcée au cours d'un prologue déambulatoire, annonce le registre du spectacle auquel convie Elizabeth Czerzuk avec "Dementia Praecox 2.0", la dernière mouture en date d'un opus en working process permament : "une catharsis dont vous sortirez, peut-être, indemne".
Soit une immersion dans le monde de la folie inspirée par une oeuvre du dramaturge polonais Stanislaw Ignacy Witkiewicz qui, prônant la théorie de la forme pure, s'inscrit dans la mouvance de l'avant-gardisme du début du 20ème siècle, du surréalisme du théâtre Dada au théâtre mécanique des Futuristes, avec la recherche de nouvelles formes dramaturgiques et de mise en scène qui, d'une part, seraient libérées de l'entrave verbale que constitue le texte.
Et d'autre part, elles ne viseraient pas à la représentation illusionniste assujettie au réalisme et au psychologisme mais à un théâtre d'images dans le rapport au réel, vécu conjointement par les acteurs et les spectateurs, dans un système de jeu plastique basé sur la dramaturgie du corps qui se rapproche du théâtre performatif contemporain.
Dans "Le Fou et la Nonne", sous-titrée "Le malheur des uns fait le malheur des autres" et présentée par son auteur comme une "courte pièce en trois actes et quatre tableaux, dédiée à tous les fous du monde, y compris ceux des autres planètes de notre système ainsi que des planètes des autres soleils de la voie lactée et autres galaxies et à Jan Mieczyslawski", Witkiewicz décline, à travers les personnages d'un poète interné dans un asile psychiatrique qui tombe amoureux d'une nonne chargée de l'apaiser, les thématiques récurrentes.
Soit, et entre autres et outre la déclinaison des rites sabbatiques de la Nuit du Walpurgis, la frontière fluctuante entre folie et normalité ainsi qu'entre génie et folie, la société répressive dont les artistes sont les premières victimes, l'anticléricalisme, l'érotomanie et la parodie de la psychanalyse.
Comédienne et metteuse d'origine polonaise totalement investie dans cette démarche artistique placée sous les figures tutélaires de Tadeusz Kantor et Jerzy Grotowski, Elizabeth Czerczuk vise donc à un "théâtre chorégraphié" qui préside à cette création foisonnante qui se déploie partiellement en libératoire et en interactivité totale avec le public qui est invité à rejoindre la sarabande des fous.
Dans une esthétique de cabaret expressionniste avec la musique-fusion originale de Sergio Gruz et Julian Julien et les extravagants costumes confectionnés par Joanna Sroka Jasko, se déroule une succession de scènes menées par la troupe du Théâtre Elizabeth Czerzuk composée de comédiens, chanteurs et danseurs au parcours atypiques.
Procession des fous, déambulation psychotiques, sarabande des camisoles, tour de Babel des démences en cacophonique volière polyglotte à l'instar du cosmopolitisme des officiants, parade de freaks et miroir tendu à la face du monde, s'avèrent, selon la sensibilité de chacun, ou/et sidérantes, fascinantes, déroutantes, roboratives, angoissantes, jubilatoires.
MM, Dementia Praecox 2.0, froggydelight.com