"Dementia Praecox" : une oeuvre d'art aussi fascinante que dérangeante
Sur scène s'opère une représentation de la vie. Et qu'est-ce donc qu'une représentation de la vie sinon l'art ? "Dementia Praecox" questionne la relation qui existe entre une oeuvre et son public. Le spectateur est nécessaire pour que l'art ait une existence. Sans personne pour l'appréhender, alors il ne signifie plus rien. Le spectateur fait partie intégrante de l’oeuvre.
Le spectacle envahit tout l'espace. Il n'y a pas une scène prédéfinie. Alors que le public attend devant le coin bar, les comédiens défilent les uns derrière les autres. Ils poussent des cris spontanés, éclatent de rires hystériques, survenus de nulle part, qui s'arrêtent aussi promptement qu'ils se sont échappés. Ils nous regardent, nous dévisagent, nous découvrent. Nous sommes leur spectacle. Ils jouent avec nous, ils jouent de nous.
Les habits et les coiffures sont ceux des fous. On ne sait pas bien à quoi ce mot se réfère, mais on sait que c'est fou car ce n'est pas normal, ce n'est pas ce dont nous avons l'habitude. Les démarches sont singulières ; s'organise une sorte de chorégraphie, qui sera plus ou moins dansée en fonction des moments. Il se dégage une émotion bien réelle de l'échange entre le jeu et le public. La performance en elle-même est remarquable : l'exercice est très physique et demande un grand investissement du corps. Mais les artistes mobilisent également leur sensibilité. Se manifestent chez les spectateurs des sentiments similaires à ceux qui nous touchent lorsque nous traversons une galerie où sont exposés les chefs-d'oeuvre d'artistes performants : de la nostalgie, du dérangement, de la tendresse, de l'espoir… Cette oeuvre bouleverse.
Nous serons parfois invités à participer à ce qui ressemble à une fête. Le public est installé de part et d'autre de l'aire principale de représentation. Les comédiens iront les chercher un par un, les invitant à se joindre à eux. Déjà l'on observe une façon différente de se mouvoir. Les fous dansent sans se référer aux regards des autres. Ils dansent comme ils en ont envie, pour eux. Alors, nos gestes à nous aussi, sans que nous y fassions attention, s'allongent, se désorganisent. Les comédiens nous libèrent pour quelques instants des conventions sociales.
Il n'y a que trois types de personnes qui ne se retrouvent pas enchaînées par les normes de la culture : les enfants, qui ne sont pas encore formatés comme la société le voudrait ; les artistes, qui s'affranchissent d'eux-mêmes ; les débiles mentaux (au sens psychologique du terme), qui appartiennent à une autre réalité. Trois types que nous apercevons simultanément devant nous.
La représentation n'est plus seulement de l'ordre du théâtre ; elle devient un art hybride, y mêlant peinture et musique. Le spectacle nous fait l'effet d'un immense tableau vivant et mouvant. C'est une expérience visuelle et auditive qui pourra sembler déroutante pour certains, mais qui sera primordiale pour tout ceux qui s'intéressent à l'art et la société, et au rapport intime qu'il existe entre ceux-ci et l'être humain.