Nouvelle création
- Published in Saison 2025-2026
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Eros-Hypnos, otwarta brama
Ma nouvelle création se concentre sur une thématique extratemporelle existentielle qui touche à l’énigme de la vie et de la mort. Elle explore les frontières fluides entre elles, ainsi que les moyens par lesquels femmes et hommes, guidés par leur intuition, par leur raison et leur intelligence, font avec ces questions élémentaires. En Pologne, le courant des recherches métaphysiques est présent depuis toujours, mais c’est à l’époque du romantisme qu’il connaît son apogée, nourrissant jusqu’à aujourd’hui la conscience nationale et sociale, tout comme les vies individuelles. Ce caractère et cet esprit sont particulièrement sensibles dans les drames qui vont servir d’inspiration à mon nouveau travail de théâtre. Je voudrais rapprocher le spectateur français de cette spiritualité et de l’aura qui l’enveloppe, afin d’enrichir d’un trait polonais une identité européenne qui aujourd’hui paraît privée de vécu. Vivre ensemble une expérience élargie à de nouveaux espaces. C’est pourquoi notre Festival des Formes Radicales est cette année consacré à des recherches artistiques qui dépassent les structures formelles de l’art pour tendre vers l’idée d’une œuvre ouverte à de multiples significations, à une expérience intérieure dans la transgression, qui a été décrite par Georges Bataille et par l’un des maîtres de mon théâtre, Antonin Artaud.
J’ai, pour la saison prochaine, l’intention de vous inviter à un diptyque de théâtre inspiré par les Noces de Stanislaw Wyspianski et la partie rituelle des Aïeux d’Adam Mickiewicz. Ces deux œuvres dramatiques traitent du poids des ruptures dans nos vies. Épousailles et mort métaphysique, romantisme et modernisme, peuvent aller de pair. Force et joie de vivre, célébration de l’amour dans une union, trouvent une continuation dans la déploration de la mort de nos chers disparus, lorsque autour de tables de fête se célèbre une offrande symbolique, et que se transforment en offrande symbolique des conversations joyeuses, comme en Lituanie, du temps de la jeunesse de Mickiewicz. C’est dans une telle perspective transgressive que je lis ces deux œuvres littéraires, séparées par presque un siècle, mais qui semblent parler de la même voix lorsque nous les interrogeons sur les questions les plus importantes de notre vie.
J’ai puisé mon inspiration dans ces œuvres très importantes de la littérature et du théâtre polonais, et avant tout dans leurs réflexions sur des thèmes existentiels qui traversent les modes et les changements de mœurs au fil du temps. La structure ouverte du drame néoromantique des Noces invite à ce genre de rajeunissement de lectures devenues classiques. Dans ces deux œuvres sources de mon spectacle, c’est avant tout l’intuition d’un destin dans sa dimension temporelle et métaphysique qui a été essentielle pour moi. Cette lecture m’a permis, comme à l’ensemble des acteurs, de chercher une expression théâtrale capable de montrer la parenté des deux drames pour ce qui est de leur signification et de leur message intemporel. Cette contemplation théâtrale de la nature temporaire de la vie et du mystère de la mort se retrouve dans les deux étapes du diptyque réunies en un tout.
Le défi n’est pas mince pour un théâtre de la dramaturgie du corps, étant donné que l’un et l’autre de ces drames vont au-delà de la condition humaine dans sa dimension matérielle et corporelle. La symbolique, l’imagerie, la vision, le rythme musical et le nerf dramatique de ces deux œuvres, complémentaires dans le récit scénique du sens d’une vie qui ne se laisse enfermer ni brider par aucune limite biologique, ont été les points de départ de ma création. Nous espérons qu’en « ouvrant la porte » (otwarta brama, titre commun aux deux parties du spectacle Eros et Hypnos) sera vue comme une invitation à un événement théâtral dont vous pourrez être les participants, témoins et hôtes attendus. Que la porte ouverte à l’hospitalité soit la carte de visite du spectacle et un geste chaleureux en direction de notre public.
« Ouvrir la porte » renvoie aux motifs littéraires des deux textes dramatiques des Aïeux et des Noces. Cette « ouverture » est à la fois une métaphore de l’hospitalité d’un espace métaphysique, de sa liminalité et de son absence de frontières. Dans les Noces, il s’agit de la « chaumière » célébrée, où chacun peut entrer indépendamment de son appartenance sociale, qu’il soit noble, paysan, mendiant ou érudit, comme la « très moderne » Rachel. Mais la porte ouverte du cimetière des Aïeux a un sens métaphysique. Elle est une ouverture au monde des esprits, invités par les vivants à un entretien dans la chapelle du cimetière.
Par Elizabeth Czerczuk
