Elizabeth Czerczuk entraine sa troupe virtuose dans les abîmes de l’« Amok »
Elizabeth Czerczuk entraine sa troupe virtuose dans les abîmes de l’ « Amok »
Publié le 23 avril 2024 - N° 320
Elizabeth Czerczuk entraine sa troupe virtuose dans les abîmes de l’ « Amok » La nouvelle création d’Elizabeth Czerczuk entraine sa troupe virtuose dans les abîmes de l’amok, emprise mentale destructrice venue d’Asie. Musiciens, danseurs et comédiens se plient à ses effets dans un bal hypnotisant qui témoigne d’une incroyable maitrise des genres. Un moment hors du temps que l’on conseille fortement.
Au TEC, un nouveau processus créatif s’invente sous les yeux du public. Avant d’être présentée dans sa forme définitive en octobre prochain, la nouvelle pièce de la metteuse en scène, Amok, prend forme. Au menu, la descente brutale et destructrice des âmes humaines vers la démence, la folie, dans une incroyable mise en scène de la brutalité du monde où chacun entraine l’autre dans sa chute. Et cela commence dès l’installation du public, invité à s’encorder pour rejoindre les gradins d’une scène à trois niveaux, accessible par un plateau incliné, plongé dans l’obscurité et animé par un orchestre (qui jouera du début à la fin de la pièce). Elizabeth Czerczuk, en maitresse des lieux attentive, veille à l’installation de son public et de ses interprètes, puisque c’est dans les rangs des gradins face à nous que les « comédiens-danseurs » débutent l’envoûtement qui durera une petite heure. L’amok, qui se définit comme une rage incontrôlable, une pulsion suicidaire, ou encore un comportement meurtrier sans discernement, se donne ici à voir dans une chorégraphie théâtralisée magistrale, s’immisce sournoisement dans les corps que les « musiciens-acteurs » dirigent, et caresse avec affront les spectateurs à travers le regard ahuri des interprètes.
Les profondeurs de l’âme humaine, mises à nu
Ensemble, ils composent ce que l’on pourrait appeler une bande de dégénérés, de déviants ou d’inaptes. Ambiance taverne alcoolisée, chamailles quotidiennes et passions cruelles s’incarnent dans des langues allant d’un amusant franglais à un approximatif arabe, en passant par des bribes de paroles non identifiées. Une femme pleure et implore alors que le saxophoniste descend de l’orchestre pour rejoindre la piste. Bientôt un habile déménagement nous met en garde : l’amok nous guette et nous pourrions bien prendre la place de celles et ceux qui nous font face. La transe poursuit son cheminement et la chorégraphie, qui propose de merveilleuses lignes et une grâce captivante, semble être le seul moyen de contrôler les corps. Car les esprits semblent chercher, tout de même, une issue de sortie. Ils ne la trouveront ni dans les livres, ni dans la musique, qui jusqu’au bout nous accompagne. Se libère-t-on vraiment de l’amok ?
Louise Chevillard